Jean CHABANON
« Le Peintre » Guide du Collectionneur, Bi-mensuel n° 348, 1er juin 1967
« A l’Enseigne de Gersaint » : vente vendredi 2 juin, Hôtel Drouot, salle n°6
Constant Detré (1891-1945)
" Il existe dans les cartons, patiemment recueillies une à une des pièces rares dues à des maîtres de l'art comtemporain. Elles sont les richesses de ces grands amateurs passionnés et fortunés qui font beaucoup pour la conservation d'oeuvres qui un jour ou l'autre viendront enrichir notre patrimoine. Il existe aussi, réfugié dans des greniers, la totalité de la production d'artistes, qui connurent un long temps de gloire avant de disparaître corps et âme; il existe aussi soigneusement préservé, le plus souvent en province, l'oeuvre d'artistes qui, même de leur vivant, ne purent éprouver les joies de la renommée par le fait de leur modestie, parfois de leur désintessement ou leur penchant pour l'exaltante vie de bohême. J'ai pu -à Bourges- découvrir l'art comme primesautier de Constant Detré né en 1891, mort en 1945. Il m'apparut comme l'un des plus spirituels dessinateurs de notre temps, un artiste tout neuf, tout jeune, tout joyeux.
On divise l'oeuvre du pastelliste Constant Detré en trois périodes, elles ne prennent nullement le nom de couleur ou de manière ou d'esthétique. Son style est bien trop libre pour cela. Dans la première (1920-1930) le trait tenu indique prestement et amoureusement la forme. On peut dire que les oeuvres sont des dessins rehaussés de pastel alors que dans la seconde (1930-1940 le tracé fait corps avec les zones et les incidences colorées tandis qu'en la dernière partie à partir de 1940, la forme et le ton sont situés du même coup. Quelques fois l'influence de Pascin est décelable surtout dans les années 30, mais, cependant le registre de cet étonnant observateur est différent, Detré utilisant au fur et à mesure des ans la couleur de plus en plus à sa plénitude dans un nuancement de chairs nacrées que mettent en valeur des rouges et des bleus francs, des jaunes purs.
Le principal de l'oeuvre de Detré a la femme pour support, il en célèbre les charmes mais erre dans des mondes différents, de la maison close à l'intérieur douillet, du cabaret, du théâtre aux scènes de plein air. Son atirance pour les belles de toutes sortes, l' amène à pencher vers un érotisme qui n'a aucun rapport avec la pornographie, l'esprit et la gentillesse, non la concupiscence, gouvernant l'idée.
Constant Detré remet à l'honneur le pastel, il s'inscrit parmi les plus beaux artistes ayant utilisé ce moyen qui permet de fixer avec promptitude les motifs, qui permet des oeuvres pétillantes ici. Un nom à retenir.
Jean Chabanon, op.cit.